PIFFF 2011 : Compétition
S’il y en a bien un dont on attendait le nouveau film en trépignant d’impatience, c’était bien Nacho Vigalondo. D’autant plus que son Extraterrestre s’annonçait plus ou moins comme une sorte de Cloverfield européen avec des petits hommes verts, ce qui n’a pas manqué de provoquer une vive déception lors des premières projections en festival. Pourtant, les affiches sont sans équivoque – comment s’attendre à quelque chose de très sérieux quand un poster parodie Space Invaders – et annoncent bien avant tout une comédie, avec des extraterrestres. Timecrimes, le premier film du réalisateur, avait beau construire une intrigue liée aux voyages temporels, il ne manquait jamais d’humour, mais il faut se tourner vers les premiers travaux de Nacho Vigalondo pour bien comprendre. 7:35 de la mañana et Domingo par exemple, deux de ses premiers courts métrages, prenaient déjà à bras le corps la comédie comme fil conducteur. Il n’y a donc rien de bien étonnant à ce qu’il poursuive dans cette voie de mélange des genres avec Extraterrestre, qui en plus d’être une comédie de science-fiction se permet de jouer la carte audacieuse de la comédie romantique. La surprise est de taille, c’est le film le plus drôle de l’année.
Il faut bien avouer qu’on n’avait jamais vraiment vécu une invasion extraterrestre à travers le prisme d’un couple improbable visiblement formé le temps d’une nuit alcoolisée. Seul le spectre de l’intime est ici abordé, autorisé par un budget limité et une multitude d’idées scénaristique, gros point fort de l’auteur. Il prouve cette fois qu’il est tout à fait capable d’écrire quelque chose de brillant sans avoir besoin de recourir à des procédés d’écriture complexes pour déstructurer un récit. Le scénario d’Extraterrestre est des plus linéaires mais n’en est pas moins une perle d’inventivité. L’idée est simple : comment utiliser le concept éculé d’une invasion extraterrestre pour construire une histoire d’amour. Et pour cela il va user de ce qui faisait le piment de toutes les scènes les plus fortes de son film précédent, la mise en place de quiproquos comme vecteur narratif et comique. Il y a quelque chose de foncièrement jouissif là-dedans, à savoir que le couple adultère monte un tissu de mensonges à base d’invasion pour justifier leur rencontre, pendant qu’une véritable invasion a lieu. La mécanique du récit est tellement précise, tellement intelligente, qu’on atteint de véritables sommets d’euphorie tant tout fonctionne à la perfection et s’emboîte comme une série de poupées russes.
Et pour pousser encore un peu les raisons de cette réussite, presque inconscientes, il faut se tourner vers la réappropriation totale du mythe, à savoir que les petits hommes verts sont généralement au centre de manipulations et arnaques en tous genres, les héros embrassant ici cette idée pour monter la leur. C’est brillant. Tout aussi géniale est sa construction en mode crescendo, qui passe de la petite comédie de mœurs légère, façon Woody Allen en mode latin à un grand festival de n’importe quoi, le mensonge créant une escalade dans le délire du plus névrosé des personnages. En parallèle l’histoire d’amour, ou plutôt les histoires d’amour, passionnées ou contrariées, tiennent incroyablement bien la route, jusqu’à un dernier acte qui tend un peu trop vers les bons sentiments un brin dégoulinants. Mais finalement, ce qui prend le pas sur tout le reste, c’est la pure comédie. Sur ce point, Extraterrestre éclate facilement tout ce qui a été fait depuis pas mal de temps, autant grâce à son scénario que ses acteurs, incroyables.
Par les oppositions extrêmes de ses personnages, par la volonté de les enfermer dans des espaces réduits (la première moitié du film se déroule intégralement dans l’appartement), par les jeux de dialogues et de regards, on assiste à quelque chose qui touche au génie. Nacho Vigalondo se montre adepte du burlesque autant que d’un humour bien plus terre à terre, et les maitrise autant l’un que l’autre. Chaque personnage possède de multiples facettes qui peuvent le rendre pathétique, et donc immensément drôle. Entre le voisin stalker, le mari complètement fou, l’amant cool et la belle paumée, c’est un festival de situations inattendues qui s’enchaînent avec une fluidité et un sens du tempo comique qu’il faudrait ériger en exemple. Et tout ne repose que sur l’idée de mensonge et de quiproquos dans un but purement égoïste. Derrière l’humour, le portrait d’une société sclérosée est assez clair, c’est celui d’un pays incapable de surmonter la moindre épreuve et qui ne bâtit sa survie que sur la manipulation, ou en jouant à la sangsue. Porté par un quatuor d’acteurs exceptionnels, avec une mention spéciale à l’incroyable Carlos Areces dans une composition assez proche de celle, déjà géniale dans Balada Triste, mis en scène avec une vraie élégance qui laisse beaucoup de place au mouvement panoramique pour créer de l’espace et de la profondeur et bourré d’idées (la séquence d’adaptation à l’obscurité, très belle), Extraterrestre est une belle réussite. En transcendant un genre pour en embrasser un autre, sans aucun compromis sur l’humour parfois très cruel, porté par un rythme qui ne faiblit que rarement, le second long métrage de Nacho Vigalondo est non seulement la confirmation d’un énorme talent mais surtout 90 minutes de jubilation totale, et sans jamais voir un seul extraterrestre en frontal.