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Bellflower (Evan Glodell, 2011)

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Le cinéma indépendant américain est décidément plein de surprises. Alors qu’il semble niveler l’ensemble de la production dans un moule qui rend l’idée même d’indépendance, et ce qu’elle implique en terme de créativité, caduque, il lui arrive de nous prendre à revers. Avec Bellflower, c’est précisément ce qui se passe. Ce film-OVNI totalement inattendu, nourri aux traumas autobiographiques de son jeune auteur Evan Glodell, et phénomène de festivals de cinéma de genre à travers le monde, flirte en permanence avec l’extrême. Le drama, la sitcom, le clip, le cinéma post-apocalyptique et le teen-movie, un mélange des genres qui flirte consciemment avec le grotesque et le n’importe quoi mais qui s’en sort miraculeusement. Bellflower c’est une petite bombe imparfaite qui frappe fort pour une raison extrêmement simple : sa faculté à s’adresser directement et frontalement à l’intime du spectateur le rend immédiatement attachant. Dès lors, on lui pardonne tout, y compris ses erreurs les plus grossières.

bellflower 1 Bellflower (Evan Glodell, 2011)

Au premier abord, Bellflower possède tous les atours du cinéma indépendant, et notamment son sujet. Deux adulescents très sympas vivant dans leur monde légèrement déconnecté de la réalité, une histoire d’amour fulgurante, une passion destructrice, rien que de très classique dans le genre. Sauf qu’Evan Glodell est un jeune metteur en scène qui s’est donné pour mission de faire vivre quelque chose d’intense à son public. Quelque chose d’au moins aussi fort que ce qu’il a lui-même vécu. En cinéaste de la bricole, du système D et de l’envie de faire du cinéma, il donne tout ce qu’il a de plus personnel à cette première œuvre tellement riche qu’elle en devient finalement presque impudique. Mais cette ouverture totale au spectateur le rend d’autant plus attachant. De la recherche du bonheur jusqu’à la chronique d’un drame mortel, Bellflower suit une trame scénaristique sinueuse qui brise les lignes temporelles pour mieux s’immiscer dans le cinéma purement sensitif. Pour autant, le film n’a rien d’un film intello. Avec sa construction sur deux niveaux facilement identifiables, ses chapitres comme autant de sentences divines et ses acteurs criant de naturel, le film sonne avant tout comme un cri du cœur. Il y a tout d’abord cette histoire d’amour entre deux êtres étonnants et diamétralement opposés, quelque part comme si Eternal Sunshine of the Spotless Mind se payait une relecture poussive et punk. Si souvent traitée au cinéma, la rupture amoureuse qui fait suite à une passion soudaine et dévorante se transforme ici littéralement en apocalypse. Tempête sous un crâne, fin du monde intérieure, Evan Glodell fait le choix risqué mais sincère de tout montrer à l’écran en jouant sur la perception du spectateur mais sans lui donner de repères véritables. Reste donc la légère impression d’un film de petit malin frimeur mais qui s’estompe face à la sincérité de l’ensemble. Certains posent leurs burnes sur la table, Evan Glodell y met son cœur et sa colère qui transparait de chaque plan dans cet ensemble sous le signe du no future. Sans révéler l’intrigue, son astuce fonctionne merveilleusement, illustrant véritablement et avec rage tout ce que peut entraîner une telle rupture chez un homme (ou une femme d’ailleurs, là n’est pas la question). En parallèle, Evan Glodell prend un autre pari risqué, celui de jongler avec un symbole essentiel de la culture populaire qui inscrit son film dans une tradition portée au public par Quentin Tarantino. Il ne cherche pas à refaire Mad Max mais en utilise habilement les symboliques populaires pour apporter encore un peu de matière à son discours. Ainsi, il joue avec la perception au réel, sans cesse malmenée. D’un côté ces jeunes vivent dans une bulle surréaliste où ils pourraient passer leur temps à bricoler un lance-flamme et construire leur propre Interceptor, de l’autre on leur rappelle que Mad Max est une fiction et on les ramène brutalement dans la réalité en leur faisant affronter le monde des adultes. Bellflower est quelque part un film aussi naïf que ses personnages, et le retour sur terre, symbolisé par la réalité des relations amoureuses, parfois cruelles, est d’une brutalité folle.

bellflower 2 Bellflower (Evan Glodell, 2011)

Cette brutalité des sensations se retrouve à l’écran dans un déchainement des enfers très graphique. Bellflower est parfois un film très violent, physiquement, pour mieux illustrer la violence du trouble mental qui frappe le personnage principal. Du début très léger au final cataclysmique, le film développe un univers réel et mental tout à fait cohérent et très travaillé, plombé cependant par des personnages secondaires parfois totalement ridicules et qui remettent en cause l’intégrité du discours. Mais au-delà de ces problèmes, liés au statut d’œuvre expérimentale et de jeunesse, on reste soufflé par la tenue visuelle de Bellflower et, là encore, son intégrité graphique vis à vis de son propos. Entre la longue focale quasi-permanente et le flou artificiel pour créer des vastes espaces dans des lieux restreints et se rapprocher de l’isolement géographique – ici mental – des westerns, les objectifs de caméra dégueulasse et home-made pour filmer la crasse et provoquer une immersion dans la fange adolescente, et ces couleurs qui explosent dans chaque plan, Bellflower sera sans doute taxé de film poseur. C’est généralement ce qui arrive aux beaux films, et Bellflower est un beau film. Un film à la fois punk et naïf, un film fait avec les tripes et le cœur, un film bordélique qui fait se rencontrer George Miller et Gregg Araki, comme un cri de désespoir à la fin d’une belle passion, porté par le souffle d’un V8 et brûlant comme un lance-flamme. Evan Glodell, ça c’est un nom à suivre.


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